27 janvier 2020

Infox

"Tous les enseignants confrontés à des théories du complot font chou blanc lorsqu'ils essaient de répliquer exclusivement par la rationalité. Il faut être très bien préparé pour contrer quelqu'un qui a vraiment travaillé un sujet. Et je ne parle pas là des platistes [ndlr : une communauté qui pense que la Terre est biplate, qu'elle a la forme d'une pièce de monnaie] ! Je parle de sujets beaucoup plus complexes plaçant l'enseignant face à des champions de l'argumentation et du doute permanent. Les médias qui relaient les théories du complot n'emploient pas les mêmes arguments. Ils jouent plutôt sur le relationnel, l'émotionnel. Il est alors plus intéressant au niveau de l'éducation aux médias d'essayer de déconstruire une théorie du complot, non pas dans les faits rationnels qu'ils exposent mais dans la manière dont l'utilisation des langages médiatiques va les pousser dans des formes d'adhésion quasi romantiques. Là on peut travailler. On n'est plus dans une simple logique argumentative mais dans la déconstruction. Ceci dit, il reste quand même un travail de fond en matière d'éducations aux médias d'information. Par exemple, distinguer les faits des interprétations et confronter les interprétations car elles ne se valent pas toutes. Mais il s'agit là d'un travail de longue haleine. Je m'oppose absolument à ceux qui prétendent former l'esprit critique de leur public en deux heures. Non, cela prend beaucoup de temps et cela mobilise beaucoup de disciplines."

Patrick Verniers - "Infox, le dessous des cartes" ("Le quinzième jour" - janvier-avril 2020)



Le quinzième jour est un magazine de l'Université de Liège (trois par an). L'article mentionné ci-dessus, sous forme d'un entretien avec deux spécialistes en communication et médias, s'inscrit dans la continuité de billets sur le thème de la vérité, proposés sur ce blog il y a quelques mois. Patrick Verniers et Jeremy Hamers évitent les postures manichéennes, en précisant que tout cela, infox et désinformation, est le "symptôme d'un déficit chronique de compétences médiatiques du citoyen". 
Dans la même idée, il sera question tout prochainement d'une courte fiction de Didier Daeninckx qui fustige la manipulation de l'information.

9 commentaires:

  1. Dans mes cours de rhéto sur l'argumentation et la rhétorique, où j'utilisais surtout des exemples pêchés dans les médias, j'avais vraiment l'impression de donner des outils critiques aux élèves, mais je rejoins ce qui est dit dans l'extrait : cela prend beaucoup de temps et aussi pour apprendre à "distinguer les faits des interprétations", des opinions. J'en mesurais la difficulté lors de contrôles où il fallait analyser des exemples non vus au cours, ou dans les dissertations.
    C'était avant que les fausses informations trouvent tant d'écho sur les réseaux sociaux, ce qui, en effet, doit fort compliquer la tâche des profs.

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    1. Les réseaux sociaux aggravent fortement la situation. C'est bien de donner un avis d'expérience, merci à vous, j'avoue que je n'aurais pas apprécié de travailler dans l'enseignement, même si j'imagine qu'il y a parfois des retours enrichissants.
      (J'ai fait un temps des écoles de devoir avec des plus petits, c'est usant. Nous savons bien que le plus difficile est de donner envie d'écouter, de comprendre, d'apprendre. C'est un métier, comme on dit, qu'en tant que bénévole, c'était compliqué... mais je m'éloigne des fakes news).

      L'éducation aux médias me semble prioritaire aujourd'hui, et pas que pour les jeunes.

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  2. Sur le sujet, un article intéressant dans le Diplo de février : "Quand les médias rééduquent les lycéens".
    "L'éducation aux médias et à l'information existe depuis des décennies, mais l'attentat contre Charlie Hebdo, en 2015, a marqué un tournan. Désormais, il s'agit moins de développer le recul critique sur mes grands moyens d'information que de rétablir la confiance vis-à-vis du journalisme et inculquer les valeurs de la République aux jeunes des quartiers populaires"

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    1. Ah bien alors je vais l'acheter, ce que je ne fais plus tous les mois (sur le site c'est toujours celui de janvier). Merci.

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    2. L'article de février est en ligne à présent (abonnés) : j'y trouve des notes qui renvoient à des conférences au collège de France, ça me paraît intéressant. Notamment "Comment Internet a bouleversé les régimes de construction des opinions ?"

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    3. Dans le même numéro, il y a un article sur la série télévisée "Apocalypse" qui illustre jusqu'où peut aller la manipulation de faits historiques, une forme d'intox que la télé "officialise."
      Robert Spire

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    4. La manipulation via les médias est au centre d'une nouvelle que je raconterai dans un prochain billet. Et je vais à la librairie cet après-midi pour le MD :-)

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  3. je trouve que c'est un sujet passionnant , quand on est confronté à des gens qui sont persuadés qu'il y a complot c'est très compliqué de discuter avec eux. La dernière expérience en France à propos du Professeur Raoult est incroyable moi j'ai appris à me taire.

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    1. Bonjour Luocine.
      Le complot est le thème préféré, sinon l'aliment de base, des gens qui adhèrent et propagent les fakes news. Il est impossible d'argumenter, ces gens sont des champions de l'argumentation, comme écrit dans l'article.
      Je ne suis pas cette polémique avec le Pr Raoult ; ses travaux sur la chloroquine, source d'espoir, doivent être confirmés par des tests expérimentaux acceptables par le monde scientifique, selon moi, le reste c'est de la polémique sur-médiatisée.
      Apprendre à se taire est sage, ne fût-ce que pour éviter de s'énerver/fulminer quand on veut rétorquer à certains.
      Bonne après-midi.

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