Le fait que Faulkner ne parle que parcimonieusement et de façon machinale, presque stéréotypée selon Lomax et Glissant, de la « musique nègre », n'implique pas qu'elle ne soit pas là, au cœur du texte : sinon décrite du moins écrite, transposée, restituée jusque dans les sauts associatifs, les brouillages, les double voire triple sens, l'ironie et la parodie, la ruse et l'insolence, la détresse ou la jubilation (Every day I have the blues chantait Joe Williams sur les riffs soutenus, enjoués, et le rythme fortement balancé de l'orchestre de Count Basie) qui caractérisent les paroles du blues, mais aussi dans ce qu'elles supposent de connivence (nous verrons de quoi elle peut être faite). Peut-être le magnétophone était-il plus dans sa tête que sur la table pliante. Et, sans doute, était-il suffisamment – tellement ? – imprégné de la culture de son milieu social et culturel, y compris celui des Noirs, ses voisins, pour n'avoir d'autre souci que de s'y enfoncer un peu plus afin d'en dégager les ressorts intimes, et non de s'en distancier pour en faire un froid objet d'étude. La musique des Noirs n'est pas chez lui un fond de décor ; elle n'est pas une bande-son. [p 124]
[...]
En bref, cette inspiration, cette influence, cette présence du blues n'est pas tant à rechercher au niveau du contenu langagier – les paroles restent des paroles de Noirs adressées à des Noirs – ni de la scansion musicale proprement dite, qu'au niveau de ce que, faute de mieux, on peut appeler la structure orale du blues qu'il a tenté de transposer, me semble-t-il, dans des passages entiers de ses romans ou de ses nouvelles – en particulier dans les soliloques – et qui expliquerait certaines étrangetés de style ou certaines fantaisies de construction. [p 126]
Jean Jamin - Faulkner - "Faulkner - Le nom, le sol et le sang"
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