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| Groupe Elidia, 2025 Éditions du Rocher - Litos 315 pages |
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29 octobre 2025
Nouvelles lointaines
15 octobre 2025
Quelques vieilles histoires
"Nous possédons quelques vieilles histoires que nous nous repassons de bouche en bouche ; nous exhumons de vieilles malles, boîtes et tiroirs des lettres sans formule de politesse ni signature, dans lesquelles des hommes et des femmes qui ont autrefois existé et vécu sont réduits à de simples initiales ou de petits noms familiers nés de quelqu'affection maintenant incompréhensible et qui nous paraît du sanskrit ou du chacta ; nous entrevoyons vaguement des gens, ceux dans le sang et la semence de qui nous étions nous-mêmes latents et expectants, que la pénombre de ce temps exténué a doués à présent de proportions héroïques, en train d'accomplir leurs actes de simple passion et de simple violence, impénétrables au temps et inexplicables."William Faulkner - "Absalon, Absalon !" [p.127] - Traduit par R-N Raimbault avec la collaboration de Ch-P Vorce (1953) puis de F. Pitavy (1995).
Ce passage de Faulkner est placé en épigraphe de la troisième chronique, intitulée "Le journaliste", du livre de David Grann "La note américaine / Killers of the flower moon".
Pour aller plus loin avec ce passage de Faulkner, voir "Images du temps et inscription de l’événement dans les œuvres de William Faulkner et de Claude Simon", §8 - Anne Bourse.
13 octobre 2025
L'or noir
Les Osages venaient en nombre voir le pétrole jaillir, ils se bousculaient pour avoir la meilleure place, s'assurant de ne pas faire d'étincelles qui auraient provoqué un incendie, suivant le pétrole des yeux lorsqu'il s'élevait à quinze, vingt ou parfois trente mètres dans les airs. Avec ses grandes ailes d'embruns noirs arquées au-dessus du derrick, le pétrole se présentait à eux comme un ange de la mort. Des gouttes recouvraient les champs et les fleurs, et marquaient la peau des travailleurs comme celle des curieux. Malgré tout, les gens se tapaient dans le dos et lançaient leurs chapeaux en l'air pour fêter l'événement. Bigheart, qui mourut peu de temps après la mise en place des lotissements, était salué comme le « Moïse osage ». Et la substance minérale, odorante, visqueuse et sombre semblait être la plus belle chose au monde.
David Grann - "La note américaine" [p.77]
12 octobre 2025
Meurtriers de la fleur de lune
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| Pocket, 2018 - 425 pages |
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| Mollie Kyle - Burkhart |
18 septembre 2025
Mort d'un oublié
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| Les Éditions de Minuit, 2011 - 62 pages |
Écrit d'une seule traite, sans points, les 55 pages de cette phrase-texte sont un réquisitoire emporté et saisissant contre l'assassinat par des vigiles, d'un vagabond coupable d'avoir bu une canette de bière dans un supermarché. Les faits s'inspirent d'un fait réel survenu à Lyon en 2009. Le roman de Mauvignier s'accorde avec les événements relatés dans la presse ("Le Monde"), bien qu'il soit question de vols de bouteilles dans celle-ci, ce qui enlève peu au scandale. Le pauvre hère, cet oublié, aurait-il même volé un casier de bière, on ne bat pas à mort pour cela.
L'écriture de Laurent Mauvignier, d'une extraordinaire efficacité, est déroutante, saccadée, se livre en coups de poing.
Extrait :
[Le narrateur s'adresse au frère de la victime.]
[...] et dire que les vigiles l'ont aussi débarrassé de ça, ce moment où quelqu'un voulait le revoir et que lui aussi voulait revoir, entre cette gare et la rue de Lyon, quelqu'un qui est venu et a dû l'attendre, peut-être pas des heures, mais sans doute au moins une, puisqu'ils avaient rendez-vous et qu'il n'est pas venu, et le lendemain non plus il n'est pas venu dans ce bar où ils s'étaient rencontrés et parlé, là où ils s'étaient plu tout de suite, ça aussi ton frère l'a cru, et c'était peut-être vrai, on a envie de le croire parce que sinon ce monde est impossible, vraiment impossible, ils n'ont pas eu le temps de faire l'amour et puis, voilà, quand il allait rencontrer quelqu'un, elle ou lui, quand il allait sortir de l'oubli, ce que j'appelle oubli, lui qui traînait souvent dans la rue du côté de [...] [pp 46-47]
15 septembre 2025
Classement d'un amour raté
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| Christian Bourgeois Éditeur, 2023 - 193 pages Traduit de l'allemand (Suisse) par Pierre Deshusses |
Les enfants auraient grandi, ils seraient devenus adultes et auraient quitté la maison. Mais avais-je vraiment eu envie de ces enfants, avais-je voulu partager le quotidien avec Franziska ou n'avais-je pas plutôt besoin d'elle comme ce qu'elle avait été pour moi pendant toute une vie, un amour inaccessible, un désir ? Elle m'avait rendu à la fois heureux et malheureux par son absence. Aurais-je été plus heureux avec elle ? De quoi aurais-je alors rêvé ? [p.188]
Je n'ai jamais aimé que les gens se fassent des idées sur moi, imaginent ce que je fais ou ne fais pas. Ces clones de moi-même qui rôdent dans les têtes des autres n'ont rien à voir avec ce que je suis et pourtant ils sont une menace, ils me ressemblent, imitent ma voix, font des choses que je ne ferais jamais et qui pourtant deviennent, sous forme de possibles, des parties de moi-même. [p.132]
Peut-être avais-je eu peur de perdre Franziska si je l'avais conquise. Mon amour malheureux, mes rêves, mes fantasmes, personne ne pouvait me les prendre, pas même elle. [p.95]
Par son amour de jeunesse patiemment classé au cours des années, le narrateur semble essayer de protéger ses sentiments de l'œuvre du temps. Mais l’archive ouvre surtout un espace de souvenirs et de chimères, où l’attente et l'irrésolution paraissent stagner interminablement ; il eût fallu, selon moi, une autre maîtrise de l'auteur pour éviter cette lourdeur.
Tout cela offre un texte doux et triste, avec un brin d'humour et de la tendresse qui aboutit sur une issue ouverte que nous garderons secrète – sur l'air de Barbara "Dis, quand reviendras-tu ?"
Peu de critiques de ce livre l'ont interprété de manière similaire. Il est intéressant de se reporter à celle publiée dans le média suisse romand "Le Regard libre" (mars 2023), sous le titre "Le simple désir de durer".
De même, "Bibliosurf", plus scolaire, pose de bonnes questions et y répond simplement.
31 août 2025
Identité narrative
En exergue de son récit "Le jeune homme", Annie Ernaux écrit : "Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues." Elle explicitera sa pensée sur le plateau de "La Grande Librairie" : les choses nous traversent, explique-t-elle ; pour qu'elles existent, elles doivent être écrites, passer dans cette forme-là. Sans cela, on ne comprend pas vraiment sa propre vie. Et encore cela ne suffit pas, ajoute-t-elle, car les ouvrages n'épuisent pas le vécu. Le temps continue de modifier les choses et transforme notre vision sur notre propre histoire pourtant déjà narrée. Ainsi, ses livres déjà écrits, elle ne pourrait pas aujourd'hui les écrire de la même manière. Même s'il y a des récurrences, même si d'œuvre en œuvre, elle revient sur certains événements, elle raconte différemment. L'identité narrative n'est jamais totalement stable ou définitive. Mais, dans son activité, elle fait jaillir le moi. [p.131]
Marianne Chaillan - "Écrire sa vie" (2024)
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| Le Journal de Montréal (Photo Adobe Stock) |
29 août 2025
Ne manquez pas votre unique matinée de printemps
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| Les Éditions de l'Observatoire 2024 -149 pages |
- La force du destin
- La force de la volonté
- La force des choses
- Les chemins de la liberté
"Au lieu de chercher le « ce par quoi » ou le « ce à la suite de quoi », nous agissons, nous recherchons le « ce en vue de quoi »." [p.108]
À suivre prochainement, une référence à Annie Ernaux, reprise dans cet essai, à propos de l'identité narrative.
14 août 2025
La dictature du "On"
Chaque année, je l'observe en questionnant mes élèves. Je leur demande de me citer un immense roman de la littérature. En réponse, j'ai toujours droit à un Hugo ou un Flaubert. Aussitôt, je les interroge : ont-ils aimé le livre qu'ils viennent de nommer ? Deux possibilités : soit ils l'ont détesté, soit ils ne l'ont pas lu ! Mais alors, pourquoi le désigner ? Parce que le « on », c'est-à-dire ici le professeur de français et la société derrière lui, reconnaît ces titres comme étant des chefs-d'œuvre ! Pourquoi ne désignent-ils pas un roman qu'ils ont véritablement aimé ? Cela ne leur vient même pas à l'idée, a fortiori si l'auteur est considéré comme grand public.
[...] Heidegger l'appelle la « dictature du On ». Concrètement, elle s'exprime en ceci que nous recevons du dehors, de la société, les règles morales, esthétiques, politiques, etc. Tout un monde nous précède dont nous reprenons les codes. [...].
Marianne Chaillan - "Écrire sa vie" (Les Éditions de l'Observatoire, 2024) [p.83]
Un compte rendu complet prochainement.
14 juillet 2025
Contradictions du couple et de l'amour
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| Éditions Noir au Blanc, 2025 - 177 pages |
"L’ombre des événements de Mai-68 plane sur ce couple, dont les idéaux communautaires, les échanges sincères et les engagements amoureux peinent à combler le vide intérieur." (voir "Midi Libre" - 14 juin 2025).
Sur le fond, je me dis toutefois que mai 68, qui, on ne le niera pas, a soufflé un vent de liberté, a stimulé l'amour libre et collectif, n'était que la flambée passagère et au grand jour, de ce qui existe de tout temps. Relisez Henry Miller, Anaïs Nin, Maupassant même ou Colette, vous y découvrirez, à mots couverts chez certain(e)s, de fameux adultères et dévergondages. La nouveauté en 1968, c'étaient les joints qui faisaient planer les ébats, tandis qu'aujourd'hui, avec les dépendances à la consommation-reine, plus ravageuses, un autre monde se dessine [voir extrait en bas].
La dernière phrase du livre est très touchante, d'où l'Amour (A majuscule s'il vous plaît) émerge, timidement, mais il émerge. Ce texte m'est apparu bien écrit, inéluctablement lucide, parfois rendu monotone par des séquences qui me semblent n'importer qu'au narrateur. Ce dernier avance néanmoins des analyses psychologiques qu'il accompagne d'une franchise sans fard.
On ne sait quelle part est autobiographique dans ce livre qualifié de roman.
Une bonne manière d'approcher André Gardies est de parcourir son site, où l'on découvre un féru de cinéma et collaborateur de Robbe-Grillet pour des réflexions théoriques sur le 7e art (Curieusement, "Le temps des pluies venues de l'océan", n'est pas repris dans la bibliographie).
Extrait de "Le temps des pluies venues de l'océan" : [élection de V. G. D'Estaing vs Mitterrand le 29 mai 1974]
Pourtant avec Giscard, non, il n'y avait pas eu de véritable retour en arrière ni de rétablissement de l'ordre moral, comme on le redoutait. Plutôt une politique insidieuse, qui avançait masquée. Modernité et jeunesse, les images sur lesquelles le candidat-président avait fondé sa campagne électorale, allaient trouver à s'incarner, avec la majorité à dix-huit ans, la loi Weil, la réforme du divorce ou encore l'allègement de la censure. Un libéralisme généralisé, tant au niveau de l'économie qu'à celui de la société et des mœurs allait souffler, qui ouvrirait grand la porte au règne de l'individualisme et du consommateur-roi. Insensiblement, sans faire de bruit, la philosophie du "se faire plaisir et penser d'abord à soi" s'imposait et allait gagner tous les milieux. [p.139]
26 juin 2025
Du sud au nord
"Belge en Italie, italien en Belgique. Durant des années, je n'ai cessé de vouloir résoudre ce paradoxe. Songe absurde d'une origine, volonté viscérale de rejoindre ce qui se dérobe ? C'est en écrivant, bien plus tard, que s'est enraciné en moi une sorte de pays d'encre, où les champs ensoleillés prolongent les hauts-fourneaux, où les vignes et les oliviers, perchés sur des terrils, dominent le temps et aussi la mort. Un pays éprouvé spirituellement, à la croisée de mes influences, où mon cœur, comme placé face à un miroir, s'est retrouvé tel qu'il était.
Depuis lors, c'est là où je me tiens."
Giuseppe Santoliquido - "Le don du père"
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| Gallimard, 2025 - 205 pages |
Après avoir lu "Un été sans retour" (2021), magnifique roman d'une affaire criminelle, ce livre récent et autobiographique m'a moins emballé. L'ennui a parfois gagné ma lecture ; puis l'une ou l'autre référence religieuse, comme de possibles retrouvailles dans l'au-delà m'ont embarrassé.
S'il se passe en partie dans les faubourgs de ce Liège où je vis, dont je connais les vieux quartiers industriels qui me remplissent de la nostalgie du siècle passé (Seraing, Jemeppe, Herstal), le livre raconte avant tout l'histoire des parents et grands-parents de Santoliquido, venus d'Italie en région liégeoise pour y travailler et élever leurs enfants dans la dignité et un meilleur bien-être.
L'auteur y figure un personnage important, mais le récit gravite autour du père qui, malade des poumons, est en fin de vie. On retrouve les émouvants accents de sincérité de l'auteur belgo-italien.
À travers la narration, se dessine la confession de ce que le narrateur reconnaissant se reproche envers ce papa: de n'avoir compris que trop tard qui il était, comme beaucoup d'enfants – blancs-becs arrogants que nous avons parfois été – élevés par des parents aimants et cléments.
15 juin 2025
9 juin 2025
Proust, roman familial
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| Rober Laffont, 2023 249 pages |
1 juin 2025
L'année automobile 2024-25
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| Sophia Éditions, 273 pages |
"Le seul annuel à compiler tous les évènements automobiles de l’année, sur les plans industriel, sportif et culturel. Industrie, compétition, création : tels sont les maîtres mots de L’Année Automobile, qui aspire depuis 1953 à mettre en valeur la dimension humaine du monde de l’automobile, et à décrypter les évènements marquants de l’année.
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Je me souviens des photos doubles-pages où l'on contemplait Jacky Ickx décollant des quatre roues dans sa Brabham F1 sur les bosses du circuit du Nürburgring. Bref, pour nous, ce beau volume était comme le précipité de nos rêves d'adolescents et jeunes adultes. Le cadeau idéal.
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| Jacky Ickx vainqueur du GP d'Allemagne 1969. |
Ces grands portraits enlèvent, à mon avis, ce qui faisait la magie des anciens numéros de "L'Année automobile". Certes le livre, très français, est plus touffu qu'auparavant et exhaustif. Mais pourquoi tant d'espace illustré pour les cadres plutôt que pour les machines ?
Seul Adrian Newey (Ingénieur course successivement chez Williams, Mc Laren, Red Bull, Aston), considéré comme un des génies de la F1 depuis 25 ans, me semble avoir sa place dans cette glorieuse galerie.
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| Adrian Newey, ingénieur F1 |
Sont proposés des dossiers rétros qui m'ont vraiment accroché : "Le Grand Prix de l'A.C.F." (il y a cent ans) [p.124] avec une illustration d'un duel Alfa-Bugatti de Walter Gotschke ; "Lancia Stratos, une nouvelle ère" (il y a cinquante ans), retour sur le concept et l'architecture de cette sportive futuriste ; Facel Vega (il y a 70 ans), une voiture française [laide, mais prestige tricolore], étoile dans le ciel du haut de gamme.
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| Duel Bugatti-Alfa lors du GP ACF 1924 (Walter Gotschke) |
Viennent encore un dossier sur le circuit de Monthléry, inauguré il y a cent ans et une exposition Bugatti à Uzès : ces vieux engins ont une classe folle – je me vois bien, moustache et casquette à carreau au vent, (dé)filant au volant de l'un d'entre eux.
J'ai, en outre, trouvé plein de chaleur et de finesse dans le chapitre consacré aux décoratrices de voitures. Créativité féminine que concrétisent de très belles photographies. [p.260 et suiv]
En fin de volume, le top 10 des ventes aux enchères [p.270] met en exergue Ferrari avec la 250 GTB spyder California, classée première (1960, achetée 15.349.500 €), ou la Berlinetta (1962, acquise pour 5.530.000€).
Structure du livre :
- Industrie (économie, production, création) [p.16 à 106]
- Sport (Formule 1, Endurance, rallye) [p.112 à 228]
- Culture (instants d'année, dossiers rétros, exposition, arts plastiques, le marché de la collection, le top 10 des ventes aux enchères) [p.232 à 270]
Une moitié donc consacrée à la compétition auto, l'autre moitié fait la part belle à l'industrie, soit un tiers du volume.
La transition écologique est abordée dans un article de fond [p.20]. On y lit : "Les incertitudes sur la vitesse d'évolution de la transition écologique ont pesé négativement sur les marchés". Marchés, croissance, on ne sort pas de l'éternelle ritournelle.
Anecdotique mais signe des temps, en balade à la mer du Nord, j'ai vu ce sticker sur la calandre d'un gigantesque SUV :

Bref, moins de magie, mais un livre très axé sur la France, qui suit son époque, très soucieux de la santé financière de l'industrie automobile. Reste que le sport auto, qui a tant changé (on « réinitialise » une voiture de course comme un ordinateur), continue, paradoxe épineux, à me faire rêver, comme tous les grands enfants qui oublient, temporairement, leur vœu de protéger la planète.
Feuilletez ici.














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