Marque-pages : La biodiversité (2) : services et dynamique

Bernard Chevassus-au-Louis, l'auteur de "La biodiversité c'est maintenant", conclut le chapitre consacré à la complexité des niveaux d'organisation de la biodiversité par des mots choisis que je veux mettre en exergue avant de poursuivre le compte-rendu :

"Le fait de protéger ou non une espèce, une population ou un écosystème peut faire intervenir bien d'autres considérations légitimes - éthiques, esthétiques, politiques ou socioéconomiques – que la seule analyse de leur rôle écologique : mais il importe dans ce cas que ces considérations soient explicitées, si l'on veut éviter tant l'émergence d'une «écocratie» peu démocratique que l'instrumentalisation à d'autres fins de l'écologie scientifique."

Nous ne sommes pas toujours conscients des services que rend la biodiversité : aliments, matériaux ou médicaments, pour citer ceux dont on peut évaluer le prix. Il y a d'autres fonctions qui ne font pas l'objet d'échanges marchands, tels la régulation du climat, l'épuration de l'eau, la pollinisation, le recyclage de la matière organique, la fixation des sols pour limiter l'érosion, etc. La part des services rendus par la biodiversité effectivement prise en compte dans les calculs économiques (PNB) n'est que de 7%.

Pour illustrer ceci, l'introduction de bovins en Australie a buté sur l'absence de bousiers capables de traiter les bouses de vache, les espèces locales étant spécialisées dans le traitement des excréments de kangourous. Afin d'éviter la stérilisation des pâturages, l'importation de bousiers européens a été estimée à 2 milliards de dollars par an.

L'utilité de la biodiversité est répartie en trois catégories.

Fourniture d'eau, aliments, matériaux, fibres textiles et médicaments. Parmi ces produits se trouvent la plupart des biens marchands.
Services de régulation des grands cycles biogéochimiques avec leur conséquence sur la qualité de l'air, le climat, la limitation de l'érosion et des inondations ; limitation des agents pathogènes et parasites ; fourniture d'insectes pollinisateurs.
Services culturels, c'est-à-dire alimentant des valeurs spirituelles, religieuses ou esthétiques, y compris les activités récréatives et le tourisme.

Paradoxe de la mise en valeur : on a noté que lorsqu'on aménage un écosystème pour en tirer davantage de produits commercialisables (par exemple les forêts aménagées pour un bois de qualité), les services rendus diminuent de manière appréciable. Des milieux qui semblent «improductifs» (jachères, zones humides,...) peuvent produire des services d'une valeur supérieure à celle de zones jugées «productives».

L'observation des perturbations de la biodiversité la place au rang de précieuse sentinelle indicative de risques pour l'homme. La réduction de populations de bulots, escargots marins, due à une anomalie sexuelle, est attribuée à une peinture anti-salissures pour bateaux. Le déclin des alligators de Floride est due à la réduction de la taille du pénis à cause d'une pollution au DDT.

Des modélisations du comportement dynamique des peuplements et des populations montrent que les équilibres stables ne constituent que des cas particuliers d'évolution de systèmes. Des comportements fluctuants périodiques voire chaotiques ont été mis en évidence par les modèles, sans qu'un facteur environnemental n'exerce une forte influence. Chevassus-au-Louis ajoute que l'abondance de rongeurs tels que les lemmings arctiques (à l'origine du conte "Le Joueur de flûte de Hamelin") peut s'interpréter comme un phénomène chaotique dont il est vain de chercher la cause.

On note, sur base de travaux théoriques sur les systèmes écologiques, que des perturbations minimes à proximité des seuils critiques peuvent provoquer des transitions brusques et importantes. Les systèmes naturels se comportent donc de manière non linéaire, voire chaotique. Attention aux basculements soudains.